Shi(f)tHappens ?

« Je donnerai ce que j’ai pour retrouver je l’admets : mes amis, mes amours mes emmerdes… »    Charles Aznavour

Pourrions-nous imaginer une vie sans amour, sans amis, ou sans emmerdes ?

Que serait la vie sans emmerdes ? Probablement une erreur, car nous croyons qu’au même titre que la « musique », « les emmerdes » sont des éléments constitutionnels de notre existence. Sauf que les « emmerdes » ça n’existe pas en soi. Nous sommes habituellement emmerdés par un évènement, une situation qui nous touche, vibre en nous ; tout est une question de posture, de notre « construction du monde ». Une maladie est un « emmerdement » plus ou moins important pour une personne, son entourage, la planète…

Au cours de ma formation de médecin psychiatre, on m’a essentiellement enseigné à dépister les maladies, à les reconnaitre, à opposer le normal au pathologique, à réparer ce qui dysfonctionnait, ce qui n’était pas « normal ». Dans cette conception linéaire le médecin est placé en position d’expert, face à une machine ou une chose qu’il convient de réparer. Je crois qu’en santé et plus encore dans le domaine de la santé mentale cette attitude passe à côté de l’essentiel : un fonctionnement unifié de l’esprit humain (qui intègre à la fois le « bon » et le « mauvais ») et le monde des relations.
Cette conception unifiée de l’esprit humain, qui s’oppose au dualisme cartésien, c’est Jean Naudin qui m’y a initié à travers la Phénoménologie, qui questionne les évidences et n’oppose plus le corps à l’esprit, le normal au pathologique. Ce positionnement circulaire n’est pas l’exclusivité de la phénoménologie, et je crois qu’elle s’incarne aussi dans la pensée bouddhique, les travaux géniaux de Varela en sont des illustrations concrètes.

En ce qui concerne le monde des relations, j’ai appris au contact de mon maître Mony Elkaïm, que ce qui soignait dans une thérapie ce n’était pas tant la technique employée, ni les compétences du thérapeute que les relations, et notamment celles qui émergent entre le client et son thérapeute.

Si nous revenons à nos « emmerdes » qui jalonnent notre existence, nous pouvons affirmer sans prendre trop de risque, que la « crise » du COVID 19 est une sacrée « emmerde ». Le terme de crise, du grec, « krisis » (« κρισις »), désigne littéralement le moment où il s’agit de prendre une décision. Il est trop souvent confondu avec « l’urgence », qui elle ne laisse peu de place au choix, impose une décision immédiate pour survivre. La langue chinoise illustre cette richesse potentielle de la crise et propose 2 idéogrammes pour traduire ce terme : le premier signifie « danger » et le second « opportunité ». Si la dimension dangereuse, voire urgente de cette crise que nous vivons est évidente ; les opportunités à saisir à travers elle ne le sont pas toujours, aussi il convient de les rechercher activement.


En tant que thérapeute, on peut nous enseigner, dans une vision linéaire de l’esprit là encore à réparer un dysfonctionnement, une anomalie. Mais cette vision binaire ne rend pas compte de la complexité de notre humanité. On ne peut pas réparer « des emmerdes », on ne peut que s’en accommoder, vivre avec et il faut pouvoir imaginer que les emmerdes sont liées à leurs solutions, et aux possibles changements qu’elles induisent. Les emmerdes contiennent en elles même leurs solutions.

Nous avons imaginé une série de courtes vidéos qui raconte la vie d’un cabinet de conseil imaginaire « FeelingBetterNow ». A travers ces vidéos humoristiques, c’est cette musicalité des relations et de l’existence que nous avons voulu illustrer. Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à les regarder que nous avons eu à les construire. En filant la métaphore musicale, on peut imaginer les « shits » (les emmerdes de l’existence) comme des notes qui s’harmoniseraient en « shift », pour produire un éventuel changement en fonction du contexte. Ce qui résonne avec ces mots de Miles Davies : « N’ayez pas peur des fausses notes… ça n’existe pas ! »

À suivre…

ELKAÏM M. (1989) : Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Seuil, Paris.

NAUDIN J., PRINGUEY D., AZORIN J.M. (1998) Phénoménologie et analyse existentielle. Encyclopédie Médico-Chirurgicale, 37-815 A-10

VARELA F. ; THOMPSON E. , ROSCH E ., (2017) L’Inscription corporelle de l’esprit – Sciences cognitives et expérience humaine. Sciences humaines, Essais, le Seuil, Paris